
Benoit Chevalier, directeur du programme « Adaptation au changement climatique » chez SNCF Réseau, a livré son témoignage lors du colloque Le Monde – Météo France de novembre 2024 :
« Le changement climatique, c’est l’extension à toute la France des phénomènes extrêmes. A part quelques citadelles, on est donc tous concernés. »
Le principe du “stop circulation”
« A la SNCF, on a mis en place le principe du « stop circulation » lors de la tempête Ciarán du 1er novembre 2023. L’idée : lors d’une tempête, des arbres vont tomber un peu partout. Certains arbres sont fragilisés, comme le frêne par la maladie de la chalarose du frêne : la même brise qui ne les aurait pas mis en danger il y a dix ans peut aujourd’hui les faire tomber sur la caténaire ou sur la voie ferrée.
Résultat : on peut se retrouver dans une tempête à avoir 12 trains arrêtés dans 12 endroits différents, par 12 arbres qu’il faut tronçonner, tout en devant réparer la caténaire. On a alors potentiellement des équipes en nombre insuffisant et qu’on ne va pas forcément dimensionner pour une tempête qui arrive une fois par an. Ce qui veut dire des passagers qui risquent de se retrouver bloqués pendant des heures.
La solution, c’est d’abord d’arrêter les trains quand il y a une tempête, mais ça on l’a toujours fait, mais c’est surtout de le faire en amont, comme on l’a fait le 1er novembre dernier pour ne pas faire partir certains trains.
L’intérêt, c’est que c’est annoncé avant. Votre employeur sait que la plupart des gens qui viennent en train ne pourront pas venir ce jour-là. Et c’est très bien compris, au point que des régions qui nous ont dit : « vous n’aviez pas mis ça en place chez nous, vous auriez dû ! ». Après, évidemment, il ne faut pas faire ça toutes les semaines…»
Trois sources de risques
« Pour la SNCF, les risques des intempéries viennent principalement de trois choses : du vent, de l’eau et du soleil.
Le vent n’augmente pas forcément en fréquence mais il fait tomber les arbres. Or les arbres sont malades, et donc fragilisés : ils tombent alors plus facilement. C’est donc l’adaptation des arbres au changement climatique qui fait la différence.
La chaleur pose deux problèmes :
-celui des vagues de chaleur, qui est d’abord un risque pour les agents, ainsi que potentiellement des bugs dans l’électronique. On sait par exemple que peindre en blanc le boitier électronique qui se trouve à côté de la voie permet un gain énorme sur la température à l’intérieur du boitier : entre un boitier noir et un boitier blanc, il peut y avoir des variations considérables de températures.
-et celui des départs de feux, qui parfois viennent du système ferroviaire, mais la plupart du temps de l’extérieur. Un feu trop proche des voies déclenche une interruption de circulation. Or les projections montrent que quasiment tout le territoire devient concerné par les feux aux abords des voies (cf carte ci-dessous).

Source : document de SNCF Réseau
Pour être plus résistant à ces feux, il faut traiter la végétation – et pas seulement les arbres, mais aussi les broussailles. Pour la SNCF, le coût du traitement de la végétation est devenu le 1er poste de coût d’entretien du réseau : il est passé de 90 millions d’euros en 2010 à 210 millions aujourd’hui, en raison du changement climatique mais aussi parce qu’on a décidé chez SNCF Réseau d’arrêter d’utiliser du glyphosate. On utilise d’autres produits qui sont un petit peu moins efficaces, qui nécessitent plus de coupes mécaniques, mais avec moins d’impacts négatifs.
Enfin, l’eau est peut-être le risque numéro 1. Récemment sur un Lyon Saint-Étienne un talus a été emporté. Ailleurs, c’est le ballast (les cailloux sous les voies) qui peut être emporté. Les inondations forment le risque le plus structurant. Pour autant, ce risque reste difficile à analyser : chaque talus, chaque géographie est spécifique. Si un voisin agriculteur vend son champ pour faire un parking, tout d’un coup l’eau ne coulera pas pareil, et on se retrouvera inondé. Il faut donc qu’on ait conscience non seulement de notre infrastructure mais aussi de notre environnement, et qu’on soit en partenariat étroit avec les voisins, les régions, les autres acteurs comme Météo France.
25% du réseau ferroviaire est en zone inondable. Cela peut paraître beaucoup, mais c’est assez logique, car on construit d’abord les voies ferrées là où il n’y a pas d’habitations, or il vaut mieux mettre les habitations là où ce n’est pas inondable. On admet alors qu’en cas d’inondation importante, on arrêtera le trafic le temps de l’inondation. Dans ce cas-là, l’enjeu n’est pas de maintenir à tout prix le trafic, puisque dans une tempête presque personne ne va aller prendre le train, mais de récupérer le plus rapidement possible le réseau. C’est un sujet de réparabilité, de redondance, de gestion a posteriori. »
En complément, le regard d’un élu : “Il faut prendre conscience de l’énormité du sujet”

Jean-Pierre Serrus est vice-président délégué aux transports et à la mobilité durable de la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur, et maire de la commune de La Roque d’Anthéron (~ 5000 habitants). Il intervenait à la même table ronde que Benoit Chevalier de SNCF Reseau.
« L’année dernière, on avait certes l’expérience de la vallée de la Roya, SNCF réseau l’avait, l’ensemble des partenaires l’avait, mais ça n’a pas empêché que ça déraille dans le Guillestrois (dans les Hautes-Alpes), où les écoulements ont convergé vers des vallons traversés par des chemins de fer.
Lorsque ces catastrophes surviennent, il faut être organisé en amont pour pouvoir continuer à faire fonctionner les territoires. Il faut se rappeler quand même que dans la vallée de la Roya, touchée en 2020 par une catastrophe qui a fait 10 morts, 8 disparus, 13 000 sinistrés, on est toujours en train d’intervenir. Ce n’est pas terminé. Le maire de Tende, Jean-Pierre Vassallo, est encore en permanence debout sur les estrades à dire « j’ai encore besoin de ça ». Pour ceux qui connaissent le territoire, la vallée est …partie. 1 km de large, 8 km de long, c’est tout ça qui a inondé jusqu’en bas, vers la plaine du Var.
Les arbres qui tombent sur les voies et qu’il faut relever, c’est plutôt ce qu’on a l’habitude de faire depuis longtemps. Mais franchement, quand on voit la Roya, le Guillestrois, la tempête Aline, ce qui s’est passé en Ardèche et à Valence… : nos systèmes ne sont adaptés ni à subir ces événements, ni à refonctionner ensuite.
(…) Il faut qu’on ait des méthodes pour distinguer ce qui est prioritaire de ce qui ne l’est pas, et pouvoir agir d’abord en prévention et ensuite en temps de crise.
(…) J’ai l’habitude de dire les choses très clairement, alors voilà : avec les trajectoires actuelles, avec le modèle financier actuel, il ne faut pas se leurrer : on n’a pas les moyens d’adapter notre système de mobilité pour avoir moins d’impact sur le climat et encore moins pour préparer la résilience des systèmes. Chaque année, on s’aperçoit qu’il faut mettre un peu plus au pot pour rattraper des situations catastrophiques et pour anticiper.
La première chose à faire, c’est de prendre conscience de l’énormité du sujet. Ne nous faisons aucune illusion : ce qui n’est pas dépensé aujourd’hui devra l’être plus tard en x5, x10, x100. On est dans une urgence. »
« En tant qu’homme politique, à titre personnel, je vis ce défi avec beaucoup d’humilité. D’abord, face à ces catastrophes, les populations deviennent complètement irrationnelles. En tant qu’élu, il faut tenir son rang. Etre élu, c’est se préparer y compris à des choses auxquelles on n’est pas directement responsable. Dans ma commune, ma région, face à des événements comme ça, vous voyez a minima une population qui a beaucoup perdu, et a maxima des gens qui…[il ne finit pas sa phrase]. A Tende, le cimetière est parti ! Je veux dire, c’est ça le changement climatique, hein. C’est le maire de Tende qui reçoit les familles dans son bureau et qui se fait engueuler, le vice-président de la Région qui se fait engueuler…
Il y a donc ce dont on n’est pas responsable, et ça, on prend quand même, mais il y a aussi ce dont on est responsable. Et ça, il faut y penser bien avant. Aujourd’hui on ne peut pas faire de la politique, au sens noble du terme, sans avoir comme boussole aussi le changement climatique : ça doit influencer chacune de nos décisions, chacune de nos actions. »
Cet article est extrait de la 4e édition de la Lettre de Trois degrés, parue en décembre 2024.