La maladaptation est « le résultat d’une politique ou d’une mesure d’adaptation climatique intentionnelle qui augmente directement la vulnérabilité des acteurs ciblés et/ou d’autres acteurs, et/ou qui érode les conditions nécessaires à un développement durable » (source S. Juhola et al.).
Formulé autrement, la maladaptation se produit quand des actions d’adaptation au changement climatique produisent des effets néfastes et indésirés pour certaines populations et/ou leur environnement – en particulier quand elles rendent des populations plus vulnérables au changement climatique.
« Malgré de bonnes intentions, de nombreuses actions d’adaptation reproduisent jusqu’à présent de vieilles erreurs et finissent par aggraver les choses. Le risque est de dépenser beaucoup d’argent pour rendre en pratique les gens plus vulnérables au changement climatique » (Lisa Schipper, chercheuse spécialisée sur le sujet)
Attention cependant aux raisonnements binaires ou manichéens : la maladaptation peut résulter de la réussite partielle d’une stratégie d’adaptation, ou de ses effets secondaires, ou encore de compromis. On parle d’ailleurs de continuum entre adaptation et maladaptation (voir plus bas).
Le GIEC a mis en lumière cette notion dans son dernier rapport (volet n°2, chapitre 17), en parlant « de preuves grandissantes de maladaptation dans de nombreux secteurs et régions du monde ».
« C’est la première fois que nous avions suffisamment d’éléments pour évaluer la maladaptation de manière complète dans un rapport du GIEC » (Chandni Singh, Lead Author du volet n°2 du dernier rapport du GIEC)
Un exemple emblématique de maladaptation, fréquemment cité en premier lieu, est celui de l’usage des climatiseurs durant les vagues de chaleur (voir explication ici).
A force d’être cité, il tend néanmoins à devenir caricatural et à restreindre le champ des cas de figure, qui sont pourtant bien plus variés. Pour mieux saisir la diversité des cas de maladaptation, et montrer que celle-ci se niche parfois dans des situations plus complexes, voici d’autres exemples.
Le cas de l’aide au développement
Un article de recherche paru en 2021 (S. Eriksen et al.) met en avant trois façons dont des projets d’adaptation peuvent conduire, en pratique, à affecter la vulnérabilité de populations :
- Quand des actions d’adaptation renforcent des vulnérabilités existantes, notamment en termes d’inégalités.
- Quand des actions d’adaptation déplacent des vulnérabilités.
- Quand des actions d’adaptation créent de nouvelles sources de vulnérabilité.
Pour illustrer chacun de ces points avec des exemples :
1. Renforcement de vulnérabilités
A São Tomé-et-Príncipe, une action d’adaptation financée par des acteurs extérieurs, qui visait à accroître la productivité agricole par des mesure de modernisation, n’a été proposée qu’à ceux qui possédaient des terres, ignorant les non-propriétaires. Or ceux-ci sont souvent plus vulnérables au changement climatique, justement parce que leurs moyens de subsistance sont moins garantis. L’approche d’adaptation retenue a de ce fait renforcé leur marginalisation.
Autre cas : à Vanuatu, une étude a analysé les résultats de projets d’adaptation menés au sein de communautés villageoises ces dernières décennies. L’étude montre que ces projets, en oubliant de traiter les inégalités systémiques et les relations de pouvoir, ont engendré des divisions et des conflits au sein des communautés concernées, et ont globalement échoué dans leur objectif.
« Les dynamiques sociales et les relations de pouvoir ont été à l’épicentre de l’échec de ces projets » à Vanuatu, peut-on lire dans l’étude. Alors que « l’échelon de la “communauté” est privilégié depuis longtemps dans les projets de développement, et est de plus en plus présenté comme la panacée pour l’adaptation au changement climatique », cet exemple invite à bien plus de prudence et d’attention. Il souligne « le besoin urgent de dépasser la seule vision de l’échelle géographique » dans le déploiement de ce type de projets : « il faut s’assurer que le contexte socio-politique sur place soit bien compris et que les projets ne renforcent pas des inégalités existantes » – au risque, à défaut, d’affaiblir la capacité réelle des populations à s’adapter.
2. Déplacement de vulnérabilités
-Il est arrivé que des populations situées le long d’une rivière développent l’irrigation et prélèvent plus d’eau de la rivière pour faire face au changement climatique, laissant moins d’eau disponible pour d’autres habitants en aval (source).
-Au Vietnam, des actions de protection des forêts et des barrages hydroélectriques destinées à réguler les inondations sur des terres inondables ont d’abord semblé bénéfiques. Cependant, en observant leurs effets plus en détails, des chercheurs ont montré que ces actions ont réduit l’accès de populations montagnardes aux ressources foncières et forestières, conduisant à les rendre plus vulnérables aux impacts du changement climatique.
-Des digues destinées à protéger certains habitants contre la montée de la mer pourraient augmenter la vulnérabilité des populations situées en dehors de la zone de protection de ces digues.
3. Création de nouvelles vulnérabilités
-Le besoin urgent d’augmenter la productivité agricole dans les zones victimes de sécheresse peut conduire à privilégier l’irrigation comme solution. Cette irrigation peut apporter des avantages à court terme en assurant aux agriculteurs une récolte, mais si la fréquence des sécheresses augmente, la nappe phréatique utilisée continuera de baisser. Cela ne fera donc qu’encourager la dépendance à l’égard d’une eau qui n’est pas garantie.
De plus, la fausse confiance que procurent ces actions peut enfermer encore davantage les populations dans des situations à risque. Dans le cas de l’irrigation, les coûts d’investissement initiaux sont élevés, ce qui peut laisser les populations sans ressources financières pour essayer de gagner leur vie autrement quand l’eau viendra à manquer.
-Au Bangladesh, la construction de digues (pour protéger les populations de l’élévation du niveau de la mer et d’inondations dues aux tempêtes) a créé un faux sentiment de sécurité, qui a favorisé la construction d’habitations dans des zones très inondables. Cette situation se retrouve(ra) bien ailleurs qu’au Bangladesh. Mais là-bas, sur les plaines inondables de la rivière Jamuna, les études montrent déjà que les taux de mortalité ont augmenté suite à la construction de nouvelles habitations.
Les facteurs qui mènent à la maladaptation
Les auteurs d’un article paru sur le sujet sur le site Carbon Brief mettent en avant différents facteurs :
1- Des approches trop schématiques de l’adaptation, qui ne prennent pas en compte les inégalités, par exemple entre hommes et femmes face aux risques climatiques – de quoi conduire à des inégalités (supplémentaires) entre les groupes considérés.
Lutter sérieusement contre la maladaptation implique de prendre sérieusement en compte les différences de vulnérabilité entre groupes sociaux. Un exemple parmi beaucoup d’autres : une étude de 2013 (Bradshaw et Fordham) montre qu’au Bangladesh, les femmes ont tendance, lorsqu’elles se font surprendre par des inondations, à moins s’échapper que les hommes vers des terrains surélevés, parce que les normes socioculturelles leur dictent de ne pas quitter leur domicile sans être accompagnées par un homme de leur entourage.
2- Peu d’évaluations des effets à long terme des projets, et peu d’analyses critiques sur les retombées potentielles sur d’autres domaines ou groupes que ceux visés.
3- Peu ou aucune participation de groupes marginalisés dans la conception et mise en place de projets d’adaptation. « Les communautés locales ne sont jamais uniformes. Certaines personnes de pouvoir peuvent retenir ou prendre le contrôle de financements de projets, avec leurs cercles d’alliés ». Autre exemple : « les membres les plus éduqués peuvent être les seuls à disposer du savoir nécessaire pour gérer la bureaucratie liée aux projets ».
Au fond, comme expliqué dans un autre article, attention aux « projets d’adaptation conduits comme des interventions techno-managériales », sans prendre en compte les contextes politiques, sociaux, culturels.
Les auteurs expliquent aussi que la façon de définir le « succès d’un projet d’adaptation » peut dépendre des programmes de développement dominants et des intérêts des groupes les plus puissants ou les mieux connectés. Les groupes les plus marginalisés risquent alors d’être oubliés dans la planification de l’adaptation.
4- Certains projets d’adaptation voient leurs objectifs réajustés pour correspondre aux critères de « l’aide au développement» sans réellement prendre en compte spécifiquement les risques climatiques. Autrement dit : des projets sont parfois estampillés « projets d’adaptation » de façon trompeuse.
Leçons à en tirer
1. Pour la chercheuse Lisa Schipper, « le défi de l’adaptation au changement climatique est qu’il s’agit autant d’un PROCESSUS que d’un RÉSULTAT. Puisque le climat ne cesse de changer, les stratégies d’adaptation elles-mêmes doivent être adaptatives ».
2. Les discussions sur l’adaptation climatique ne doivent pas en rester au seul débat sur la quantité de financement nécessaire. Lisa Schipper : « Nous devons nous demander comment les projets d’adaptation peuvent réellement réduire la vulnérabilité – et comment ils peuvent mieux le faire, en ciblant les personnes qui en ont le plus besoin ».
3. La vulnérabilité est un terme clef. Lisa Schipper précise : « ce n’est pas une caractéristique avec laquelle on naît, mais un filtre créé par des normes sociales et culturelles, et des contextes économiques, physiques et écologiques ».
Dans un article paru en 2020, elle écrit : « tant que la réduction de la vulnérabilité ne sera pas au cœur des mesures d’adaptation, le risque de maladaptation restera présent. »
Ceci suppose de bien comprendre de quoi il s’agit – et ce dont il ne s’agit pas. Par exemple, la vulnérabilité n’est pas équivalente à la pauvreté. « Des personnes pauvres peuvent avoir plus d’expérience des difficultés que d’autres personnes moins pauvres, et donc être mieux capables d’activer des stratégies de survie » explique Lisa Schipper.
La vulnérabilité ne peut être comprise pleinement que si on se penche sur ses causes premières, « profondément ancrées », et « liées aux inégalités systémiques, souvent issues de déséquilibres et luttes de pouvoir historiques ».
4. Une étude de 2021 (Eriksen et al.) a analysé une trentaine des projets d’adaptation financés par des organismes internationaux (Banque mondiale, etc.) : elle montre que chacun d’entre eux peut, d’une manière ou d’une autre, être considéré comme relevant de maladaptation.
Lisa Schipper commente : « Des décennies d’expérience de projets de développement ont montré la difficulté à limiter les externalités négatives. Il serait extrêmement difficile de concevoir un projet qui bénéficie à tout le monde et qui n’a aucun coût, pour personne, nulle part, bien que ce soit toujours l’objectif ».
5. En réalité, il faut penser la maladaptation comme un continuum, plutôt que de façon binaire. C’est ce que présente le volet n°2 du dernier rapport du GIEC, notamment dans ce graphique (source) :

Cette approche a été approfondie par des chercheurs dans un article paru en 2023 dans Nature Climate Change, intitulé « Navigating the continuum between adaptation and maladaptation » : ils présentent un cadre permettant d’évaluer la pertinence d’une mesure d’adaptation à partir de six critères. Pour plus de précisions, voir l’article paru sur le site Carbon Brief.
6. Un autre point important : une action n’est pas forcément une « bonne adaptation » ou une « maladaptation » dans l’absolu. Tout dépend du lieu, de certaines conditions, plus globalement du contexte.
Autres cas de figure et exemples
-On parle aussi de maladaptation lorsque les impacts négatifs concernent l’environnement, c’est-à-dire lorsque l’environnement se retrouve dégradé suite une action d’adaptation. Par ricochets, ces dégradations peuvent fragiliser des populations locales qui dépendent de cet environnement (pour leurs activités économiques, leur sécurité alimentaire, etc.) et les rendre ainsi plus vulnérables aux effets à venir du changement climatique.
Comme évoqué plus haut, un cas emblématique est celui des climatiseurs utilisés lors des vagues de chaleur, qui non seulement réchauffent l’air localement mais aussi consomment beaucoup d’énergie – or cette énergie est rarement renouvelable, ce qui renforce donc le réchauffement climatique.
Le chercheur Vincent Viguié cite plusieurs autres exemples dans un article paru dans les Annales des Mines :
« L’utilisation de canons à neige pour faire face à la diminution de l’enneigement nécessite une grande quantité d’eau et peut ainsi mettre en péril localement la ressource en eau.
Il en va de même d’ailleurs pour l’utilisation de la végétation pour maintenir des températures fraîches en ville en périodes de canicule : une végétation qui souffre d’un déficit d’eau (n’étant plus arrosée) perd quasiment tout son pouvoir rafraîchissant.
Dans d’autres domaines, la construction de digues pour contrer la montée du niveau de la mer peut nuire aux écosystèmes côtiers. De même, l’utilisation de produits phytosanitaires pour faire face aux nouvelles espèces invasives peut nuire aux sols et à certains écosystèmes continentaux. »
-La maladaptation peut aussi se produire quand des actions conduisent à des situations de verrouillage, et/ou quand des opportunités de revenus pour (sur)vivre se tarissent suite à des actions d’adaptation. Par exemple, une stratégie d’adaptation peut encourager des agriculteurs à vendre leurs terres et à devenir employés d’un autre secteur qui offre plus de sécurité économique à court terme. Cette stratégie peut relever de maladaptation si leur nouveau secteur se révèle lui aussi très vulnérable au changement climatique, avec des risques par exemple de destructions d’emplois par la suite.
-Dans son article de 2020 sur le sujet, Lisa Schipper raconte qu’« au Pérou, des femmes ont eu l’accès à du microcrédit pour démarrer leurs propres projets, dans le cadre d’actions d’adaptation. Problème : la violence domestique a fortement augmenté parce que les hommes sont devenus jaloux du succès des femmes concernées ».
-Un reportage en Floride sur un cas typique de maladaptation présente la pratique du « fill and build ». Il s’agit, en résumé, de surélever des terrains pour permettre à des promoteurs de construire et vendre des maisons dites « à l’abri des inondations » pour ceux qui en ont les moyens. Or les eaux de pluie qui s’écoulent des lots surélevés inondent les maisons et rues voisines, ce qui renforce la vulnérabilité des autres résidents, face aux ouragans et inondations. La tendance du « fill and build » se développe non seulement en Floride mais aussi dans d’autres Etats américains comme le Texas, et globalement dans des centaines de communautés côtières. « A certains endroits, cette pratique est considérée comme une stratégie d’adaptation », lit-on dans l’article…